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Du délit de Dieudonner

mercredi 13 octobre 2004 ,par A.





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Il fallait un bouc émissaire : l’homme au bouc fut choisi. N’appartenant à aucune communauté, si ce n’est celle des hommes, il ne représentait potentiellement aucun danger. Habilement rééclairés, ses choix de vie passés pouvaient se retourner contre lui. Il aurait beau crier et gesticuler, le menu peuple n’y verrait que du feu. "Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre", dit l’adage ? "Il n’est pire sourd que celui qui ne PEUT entendre" serait plus juste, en France, en 2004. S’assurer le contrôle des yeux et des oreilles est le plus sûr moyen de cadenasser une pensée.

Le procédé n’est pas nouveau. En 2000, l’écrivain portugais José Saramago, Prix Nobel de Littérature né en 1922, répondait ainsi à un journaliste :

QUESTION : "Ne voyons-nous que les ombres de la réalité [tels ces personnages du mythe de Platon qui, enfermés dans une caverne, ne connaissent du monde que ses ombres projetées sur la paroi de leur prison] ?"

REPONSE : "Il est difficile de dire si ce sont les ombres ou les images qui nous cachent la réalité : on pourrait en débattre à l’infini. Mais je sais que nous perdons notre capacité de critique vis à vis de ce qui se passe dans le monde, d’où cette impression d’être enfermés dans la caverne de Platon. Nous prenons de moins en moins la responsabilité de penser et d’agir. Nous sommes devenus des êtres inertes, incapables d’indignation, de non-conformisme, de contestation".

Pour autant, il n’est guère besoin de voyager aussi loin dans l’espace-temps pour s’apercevoir que, à bien des égards, le Dieudonné du 1er décembre 2003 ne fut rien de plus que ce que les anglo-saxons appellent "The right man at the right place"... malheureusement.

Il suffit en effet de se souvenir de l’affaire Renaud Camus. Et de jeter un œil au bilan acéré qu’en tirèrent MM. Pierre Péan et Philippe Cohen dans leur ouvrage intitulé "La face cachée du Monde" (2003). Extrait (source : http://perso.wanadoo.fr/renaud.camus/affaire/pean.html ) :

L’"affaire Renaud Camus" telle que relatée dans "La Face cachée du Monde", Du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, Par Pierre Péan et Philippe Cohen, Éd. Mille et une nuits, Février 2003, Pages 364 à 370, extraites du chapitre "La police littéraire".

L’"affaire Renaud Camus" a jeté une lumière crue sur la fonction qu’entend remplir le nouveau Monde : instaurer le fait du prince dans le domaine de l’art et de la littérature. Qu’est-ce que le fait du prince au printemps 2000 ? Soit trois auteurs, Marc-Édouard Nabe, Paul Morand et Renaud Camus. Le premier clame à la cantonade son acrimonie envers les Juifs, le second a autorisé par disposition testamentaire la publication à titre posthume de son journal qui dégouline d’homophobie et de haine antijuive, le troisième entend publier régulièrement ses journaux et réfute toute accusation d’antisémitisme. Le fait du prince (et de la princesse Savigneau ?) réside dans la faculté de lever le pouce pour les deux premiers, que l’on estampillera "grands écrivains", et de le baisser en revanche pour le troisième en apposant en bandeau subliminal sur ses livres l’infamante étiquette d’"antisémite". Interrogé par Claude Durand, Pdg de Fayard, sur l’antisémitisme revendiqué de Nabe, Alain Salles aura eu cette réponse désarmante : "Nabe, c’est tellement excessif que ça a moins d’importance [8]." Quant au journal de Paul Morand, publié en février 2001, il a fait l’objet d’un long article élogieux de Sollers dans Le Monde des Livres, intitulé "Morand quand même". Josyane Savigneau s’extasia pour sa part sur l’écrivain "enseignant la liberté en gants de chevreau". Seul Pierre Lepape prit ses distances ; mais ses jours au Monde des Livres étaient déjà comptés...

Dans le silence assourdissant de la plupart de ses confrères, Renaud Camus a subi la plus insistante et la plus virulente des fatwas médiatiques qu’ait connues un écrivain en France depuis des décennies. Une fatwa dans laquelle Le Monde a occupé la position de grand ayatollah. Rappelons les faits : en avril 2000, Renaud Camus s’apprête à publier son journal de 1994, La Campagne de France. Affectionnant un genre réputé dépassé, le journal, dans lequel il expose ses peurs, ses hésitations et ses espoirs les plus contradictoires, il a déjà édité une quarantaine d’ouvrages. Ses livres sont lus par un gros millier de personnes et, en général, largement ignorés par la critique et les médias. Oui, mais cette fois-ci, Renaud Camus a regretté, dans un passage d’une dizaine de lignes, que les participants à l’émission Panorama, sur France Culture, aient eu tendance, à une certaine époque, à se polariser sur des thèmes de discussion d’ordre communautaire, concluant que cette insistance n’avait peut-être pas toute sa place dans une émission généraliste d’une radio de service public. Bref, Renaud Camus a écrit dans son coin ce que pensaient nombre de fidèles auditeurs de cette émission - notamment juifs, souvent gênés par la façon systématique qu’avaient les journalistes présents de revendiquer leur propre judéité à tout propos -, et peut-être même Laure Adler elle-même qui l’arrêta d’ailleurs en 1999, peu avant l’"affaire". Pendant trois semaines, la parution du livre de Camus suscite des comptes-rendus tout à fait normaux, notamment l’ouverture des pages Livres dans Libération sous la signature de Mathieu Lindon. La machine s’emballe lorsque Marc Weitzman [9], des Inrocks, croit avoir pêché le "gros poisson" avec le passage incriminé. Il fallait convoquer d’urgence le Tribunal de Salut public du nouveau Monde, puisque cette rouspétance d’écrivain claquemuré dans sa solitude gersoise ne pouvait être le simple reflet d’un accès d’humeur [10] : elle était un symptôme. Forcément ! Elle trahissait le silence pâteux entourant Vichy et la guerre d’Algérie dans notre pays. Bref, elle suggérait la présence toute proche de la "bête immonde" qui - une armée de journalistes [11] allaient se faire un devoir de nous le rappeler jusqu’à la nausée - rôdait encore dans les campagnes de France...

Ce tribunal, que l’éditeur de Renaud Camus appela justement la troïka, se réunit dans les salons de l’émission d’Edwy Plenel sur LCI, "Le Monde des idées". Outre la puissance invitante, il comprenait Philippe Sollers, favorable à l’interdiction [12] du livre, et Bernard-Henri Lévy, qui y était hostile pour bien montrer son ignominie et ne pas "victimiser la saloperie". Le débat, qui ressemblait à celui qui réunirait trois partisans de la peine de mort, l’un par la potence, l’autre par la chaise électrique, le troisième par injection médicamenteuse, ne fut point trop virulent, les trois juges se trouvant condamnés à distiller leur vinaigre médiatique jusqu’à épuisement de l’objet de la polémique. La sentence fut immédiatement exécutée dans tous les médias, presque sans exceptions [13]. La Campagne de France s’était retournée contre son auteur. Elle devint ainsi une campagne contre Renaud Camus. De Elle aux Inrockuptibles, de Libération au Nouvel Observateur, de L’Événement du jeudi à Charlie Hebdo, Renaud Camus devint en quelques jours le Goldstein [14] de toute la presse et de tous les "amis des Juifs" qu’elle s’était subitement trouvés. Avec de tels "amis", ainsi que l’a expliqué Alain Finkielkraut, qui adorent chasser en meute les innocents, les Juifs ne se sentiront guère en sécurité en cas de retour effectif d’un antisémitisme de masse ! Des pétitionnaires alertèrent la France entière comme si le port de l’étoile jaune allait être à nouveau imposé. Des hordes de plumitifs, dont la plupart n’avaient pas lu un traître mot de l’auteur stigmatisé, se bousculèrent pour cracher sur une cible d’autant plus facile que l’homme Camus était aussitôt parti aux États-Unis, répondant à l’invitation de plusieurs universités américaines, et que son livre n’était pas disponible, l’éditeur, Fayard, ayant décidé de surseoir à sa diffusion [15], compte tenu des menaces de procès annoncées notamment par Jean-Marie Cavada, Catherine Tasca, la Licra, la Ligue des droits de l’homme...

Jamais comme en ce printemps-là Le Monde n’a pu jouir avec autant de boursouflure de son magistère. Plus encore que pour le Kosovo en 1999, Edwy Plenel devint, l’espace de quelques semaines, le chef d’une police de la pensée qui se levait dans toutes les rédactions, même les plus rétives à un ostracisme moutonnier. Derrière les juges, quelques rédacteurs du Monde, tels les clercs d’un notaire marron, s’étaient armés de ciseaux et de colle. On ne pouvait en effet s’appesantir trop longtemps sur quelques lignes. On tritura donc le texte de Camus jusqu’à lui faire subir les pires outrages, afin de le relever d’un parfum antisémite indispensable au brouet dont on souhaitait abreuver les lecteurs... Patrick Kéchichian, Alain Salles, Philippe Sollers et Josyane Savigneau se relayèrent à la tâche, plusieurs semaines durant, pour rendre compte des prolongements de l’"affaire" : menaces de plainte, retrait du livre, pétition, contre-pétition, tribunes, nouvelle parution du livre, critiques du livre. Au total, des centaines de feuillets plus ou moins indigents dont il est inutile de reprendre ici la critique tant celles qui lui ont été faites ont scellé le sort intellectuel [16] de l’armée de Vichinsky en culottes courtes qui se mobilisa à ce moment-là. Notons simplement - le procédé est proprement fascinant - qu’Alain Salles, l’aide-bourreau, se permit le luxe, deux ans après l’"affaire", d’écrire : "Les attaques contre Renaud Camus ont été parfois excessives. Il a clairement dénoncé la Shoah...", cette très modeste autocritique s’accompagnant aussitôt d’un déplacement de l’accusation : "Mais ses propos racistes, dans son journal et dans sa surabondante production, ont profondément choqué, même s’ils ne représentent que quelques pages." En somme, si l’on comprend bien le "bilan de l’affaire" tiré par Alain Salles, on ne s’est pas trompé d’auteur, on s’est trompé de chef d’accusation : Camus serait seulement "raciste", et non pas antisémite. Excuse me, partner... La légèreté des confrères est parfois confondante !

Mais le plus inquiétant dans cette affaire est que Le Monde y ait joué les chefs d’orchestre : chaque morceau de bravoure anti-Camus paru dans Le Monde s’est vu dupliquer une fois, deux fois, dix fois dans les autres médias, qu’ils soient "voisins de palier" ou idéologiquement plus éloignés. Combien d’années seront nécessaires pour que les participants à cette curée se repentent ? A tout le moins ceux qui furent abusés et n’osent encore le reconnaître publiquement ? (...)

Notes

[8] Avant-propos à La Campagne de France, Journal 1994, Fayard, 2000, p. XXXI.

[9] Publié chez Stock. Il est devenu ensuite chroniqueur à « Campus », l’émission littéraire de France 2 où officie Josyane Savigneau.

[10] Dans une réponse à un article d’Alain Salles, que ne publiera jamais Le Monde, Renaud Camus a expliqué que "les passages incriminés représentent quelques lignes parmi les cinq cents pages d’un volume, le neuvième, de mon journal. Elles reflètent mon humeur des deux ou trois jours où je les ai écrits. Je ne les renie en aucune façon, mais enfin elles ne peuvent pas être lues comme si elles faisaient partie d’un grand traité ou d’un pamphlet sur le journalisme en France".

[11] Au premier rang desquels Josyane Savigneau, Alain Salles, Patrick Kéchichian.

[12] On l’aura oublié - on oublie si vite à Paris -, les mêmes feront campagne pour la non-interdiction du roman sur la pédophilie Rose bonbon, dont la menace d’interdiction dopa les ventes.

[13] Marianne commit l’un des papiers au titre les plus virulents sous le titre "L’homme qui n’aimait pas les Juifs", avant que Jean-François Kahn, qui avait compris l’existence d’un véritable lynchage médiatique, ne réagisse contre ce procès ignominieux.

[14] Orwell, toujours (in 1984).

[15] Sur les raisons de cette décision, ainsi que sur toute l’affaire, le lecteur pourra se reporter à l’avant-propos de Claude Durand publié dans La Campagne de France, op. cit.

[16] Voir le site de la société des amis de Renaud Camus (http://www.renaud-camus.org) ainsi que son journal de l’« affaire », Corbeaux, Les Impressions Nouvelles, 2001.

Voici donc ce qu’il en fut de l’affaire Renaud Camus, décortiquée ici dans le cadre d’un ouvrage visant à comprendre les rouages d’un journal qui modèle l’opinion, quoi que ce journal s’en défende. De 2000 à 2004, les mouches ont simplement changé d’âne, pour reprendre un autre adage. Que, pour la plupart, les tribunaux saisis aient donné raison à Dieudonné ? Qu’à cela ne tienne : cela n’empêchera pas la presse de continuer à le presser, le presser et le presser encore.

Oh, pas en Une. Surtout pas. Plutôt par le silence. Le silence et les allusions. C’est infiniment plus efficace.

("Combien d’années seront nécessaires pour que les participants à cette curée se repentent ? A tout le moins ceux qui furent abusés et n’osent encore le reconnaître publiquement ?")

Le grand drame de Dieudonné ? Etre en avance sur son époque. Comme d’autres, avant, avec et après lui. A vrai dire, il y aurait presque de quoi en pleurer. Mais pleurer est aussi une forme d’expression, et la liberté d’expression étant ce qu’elle est en 2004, il est à craindre que pleurer ne soit à son tour bientôt plus autorisé - le rire lui-même n’étant-il pas désormais soumis à autorisation préalable ?

Aussi, laissons le soin à José Saramago de conclure :

QUESTION : "Vous paraissez bien fataliste. Aucune porte ne s’ouvre donc sur l’espoir ?"

REPONSE : "Non, je ne crois pas. La porte qui s’ouvre - et qui n’a jamais été fermée - est celle des relations d’affection entre les personnes. Ils forment un petit noyau d’humanité. En ce sens, oui, un espoir demeure. Mais de toute façon, je me méfie de l’espoir ; il me semble que c’est une manière de toujours remettre à plus tard. Nous devons être conscient de ce qui se passe et intervenir maintenant. On exige de nous que nous ne nous posions pas de questions et que nous ne discutions pas. Faute de quoi, on risque de perdre sa place, puis sa famille. C’est ça le nouveau totalitarisme. Et je suis impressionné par l’indifférence des gens".

... A tous ces véhéments qui jurent - à juste titre ou non - la vie par Dieu donnée... Amis, frères, toutes ces mesquineries, ce pas-plus-loin-que-le-bout-de-son-nez-isme... Sont-ce donc là tout ce qu’il reste de cette création merveilleuse appelée "la vie et l’œuvre de nous autres les hommes" ? Si tel est le cas, puissent ces véhéments être un jour par Dieu pardonnés. Si tel n’est pas le cas, peut-être serait-il temps alors d’enfin délier Dieudonné.







signé...

A.




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